Freination de la myopie :
quels moyens ? Pour quels résultats ?
PUBLIÉ LE 30/04/2024
La myopie, et particulièrement la myopie forte, constitue un enjeu de santé publique du fait de ses complications potentiellement invalidantes (1). Elle apparaît le plus souvent pendant l’enfance et l’adolescence, et peut continuer d’évoluer avec un pic de progression entre 7 et 12 ans (2). Pour prévenir son apparition et freiner son évolution , différents moyens et dispositifs existent. Dans quels cas sont-ils recommandés ? Comment agissent-ils ? Pour quel résultat ?
Le point avec la professeure Dominique Bremond-Gignac, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital universitaire Necker-Enfants Malades, APHP.
La myopie ne se traduit pas seulement par une anomalie réfractive par augmentation de la longueur axiale du globe oculaire. Elle peut en effet également entraîner des complications potentiellement cécitantes telles qu’une cataracte précoce, une dégénérescence choriorétinienne myopique, une formation de néovaisseaux rétiniens, un glaucome, un décollement de rétine ou une maculopathie (3,4). Il est essentiel de reconnaître et de dépister précocement la myopie évolutive de façon à mettre en place des stratégies de freination pour, d’une part, rétablir une vision de qualité et, d’autre part, diminuer le risque de complications à long terme. « Au-delà de la réfraction et des complications, la freination de la myopie est essentielle parce que la myopie entraine une perte de qualité de vie des patients », explique la professeure Bremond-Gignac.
Quels sont les moyens de freination de la myopie ?
Après de nombreuses études menées ces dix dernières années, il est maintenant clairement établi que certaines interventions précoces diminuent l’élongation du globe oculaire et limitent la progression de la myopie (4,5). Pour la professeure Bremond-Gignac, « avant d’aborder les moyens de freination de la myopie, il est important de parler des mesures préventives car elles s’appliquent aussi bien en amont de la myopie, à son démarrage ou à un stade plus tardif ».
Voici trois conseils simples et universels limitant l’apparition et la progression de la myopie :
- L’exposition à la lumière naturelle : Un temps plus important passé à l’extérieur, au minimum deux heures par jour quelle que soit l’activité, a montré un effet bénéfique sur l’apparition et la progression de la myopie chez l’enfant et le jeune adulte. La diminution du risque serait de 2 % pour chaque heure par semaine passée à l’extérieur (3,6).
- La règle des 30 centimètres : Pour éviter une accommodation excessive, il est recommandé aux enfants de prendre l’habitude de placer leur livre ou leur écran à plus de 30 centimètres de leurs yeux, ce qui correspond à la distance entre l’œil et le coude plié (3,5).
- La règle des 20 minutes : En cas d’activité de près, il est conseillé de regarder, toutes les 20 minutes, par la fenêtre au loin, à plus de 20 mètres, pendant 20 secondes (4,5).
À côté de ces trois mesures, le professeur Bremond-Gignac rappelle qu’« il faudrait coucher tôt les enfants car le sommeil serait bénéfique dans la prévention de la myopie ».
En plus de ces moyens préventifs et face à une myopie évolutive (- 0,5 dioptrie par an), un traitement freinateur doit être envisagé (4,5). Parmi les moyens freinateurs, nous avons les ressources suivantes (4,5) :
1. Les verres
a. Les verres avec correction optique dite D.I.M.S. pour defocus incorporated multisegments (4,5)
Il s’agit d’un verre à double focalisation avec une pastille centrale de 9 mm qui focalise l’image sur la fovéa (zona centrale de la macula), entourée d’une zone annulaire en mi-périphérie qui contient de multiples segments d’environ 1 mm de diamètre de puissance convexe qui permettent une défocalisation myopique en rétine périphérique. « Il s’agit de sortes de petites alvéoles défocalisantes uniformes sur la moyenne périphérie du verre », explique la Pr Brémond-Gignac.
Ce dispositif assure une défocalisation myopique qui permet de ramener les images périphériques en avant de la rétine et ainsi de ralentir l’allongement de l’œil.
b. Les verres avec correction optique dite H.A.L. pour highly aspherical lenslet (4,5)
La technologie H.A.L. est proche de celle des verres D.I.M.S., créant, non une défocalisation simultanée plane, mais produisant un volume de défocalisation myopique avec des segments asphériques présentant un gradient de puissance dioptrique. L’ophtalmologiste explique que « cette correction est constituée des lentilles défocalisantes disposées de façon radiaire ».
Les verres D.I.M.S. et H.A.L. ont un effet freinateur de 50 à 70 % tant sur la réfraction que sur la longueur axiale.
2. Les lentilles de contact
a. Les lentilles de contact souples multifocales (4,5)
Elles contiennent une zone centrale de correction entourée d’anneaux concentriques d’additions progressives. Ce type de lentille a montré une réduction de la progression de la myopie d’environ 59 % et de la longueur axiale de 52 %. Il semblerait en outre qu’il y ait un effet potentiateur en fonction du nombre d’années d’emploi après un usage quotidien supérieur à six ans.
b. Les lentilles de contact rigides : l’orthokératologie (4,5)
D’usage nocturne, elles induisent un aplatissement transitoire de la courbure cornéenne et une correction de la myopie diurne. L’appui nocturne de cette lentille rigide favorise l’amincissement et l’aplatissement de l’épithélium cornéen central et conduit à un épaississement stromal et épithélial en périphérie de la cornée. L’effet freinateur pourrait atteindre 50 % sur deux ans.
3. Traitement pharmacologique avec l’atropine microdosée (4,5)
L’atropine agit en bloquant de manière non sélective les récepteurs muscariniques du muscle ciliaire de la rétine et de la sclère. « Elle agit également sur le collagène de la sclère », ajoute la Pr Brémond-Gignac. Elle entraînerait une rigidification de la paroi oculaire qui ralentirait l’élongation du globe avec une freination qui atteindrait au moins 30 à 60 % et 77 % pour l’atropine 1 %.
La lumière rouge pulsée, nouveau moyen freinateur avec un mécanisme d’action à définir
Plusieurs équipes chinoises proposent d’exposer la rétine à une lumière monochromatique rouge (longueur d’onde de 650 nm) pendant des courtes séances de traitement, en moyenne deux expositions de trois minutes chacune par jour (7). Malgré des résultats cliniques probants et nombreux, Il existe très peu de données sur le mécanisme d’action (7). Selon l’ophtalmologiste, « la lumière rouge aurait deux avantages, d’une part, son action sur la choroïde et, d’autre part, le fait qu’elle soit protectrice comparée à la lumière bleue. Cependant la sécurité d’emploi est à suivre et l’appareil n’est pas encore à la portée de tous. »
Existe-t-il des différences entre les différents moyens freinateurs ?
Les verres ne présentent presque aucun effet secondaire, hormis un léger effet sur le champ visuel et une perte minime des contrastes auxquels l’enfant s’adapte en une à deux semaines (4,5). « On dispose d’un recul d’au moins cinq ans sur la technologie de ces 2 types de correction », précise Pr Brémond-Gignac.
Elle ajoute : « les lentilles de contact souples facilitent la pratique d’activités sportives. Elles ne sont portées que six jours sur sept. Si, le 7 e jour, l’enfant porte les verres freinateurs, il est probable que le pouvoir freinateur rejoigne celui des verres. » Cependant, les lentilles nécessitent des mesures d’hygiène et de bon usage visant à éviter tout phénomène infectieux que l’enfant doit respecter (4,5).
L’orthokératologie a l’avantage de permettre au patient de ne porter aucune correction durant la journée et de faire toutes sortes d’activités. Elle nécessite en revanche une certaine adaptation et un respect strict des mesures d’hygiène (4,5).
Enfin, l’atropine, d’utilisation simple, expose à un effet rebond en cas d’arrêt de traitement. Cet effet pourrait être contrecarré par le recours à des dosages dégressifs et un temps minimal de traitement de deux ans (4,5).
« D’une façon générale, il faut customiser la solution frénatrice avec les parents et l’enfant parce que la solution chaussette n’existe pas. La discussion avec les parents et surtout l’enfant est primordiale pour l’adhésion de celui-ci au moyen freinateur choisi. L’adhésion est une condition essentielle à la réussite de la freination de la myopie », conclut l’ophtalmologiste.
Dr Yannick MUTOBOTO
Références
- Société française d’ophtalmologie (SFO). Les myopies [en ligne]. [Consulté le 04/04/2024]. Disponible à l’adresse : https://www.sfo-online.fr/files/medias/documents/les-myopies_second-rapport-sfo-2019.pdf
- Tricard D, Marillet S, Ingrand P, Bullimore MA, Bourne RRA, Leveziel N. Progression of myopia in children and teenagers: a nationwide longitudinal study. Br J Ophthalmol. 2022;106(8):1104‑9
- Bremond-Gignac D. Myopie de l’enfant. Med Sci . 2020;36(8-9):763-8.
- Voide N, Kaeser PF. Épidémie de myopie en pédiatrie : prise en charge, prévention et traitement. Rev Med Suisse. 2023;855:2407-11.
- Holden BA, Fricke TR, Wilson DA, Jong M, Naidoo KS, Sankaridurg P et al. Global Prevalence of Myopia and High Myopia and Temporal Trends from 2000 through 2050.Ophthalmology. 2016;123(5):1036-42.
- Sherwin JC, Reacher MH, Keogh RH, Khawaja AP, Mackey DA, Foster PJ. The association between time spent outdoors and myopia in children and adolescents: a systematic review and meta-analysis. Ophthalmology. 2012;119(10):2141-51.
- Société française d’ophtalmologie (SFO). Contrôle de la myopie par la lumière : rouge ou violet ? [en ligne]. [Consulté le 04/04/2024]. Disponible à l’adresse : https://www.sfo-online.fr/revue-presse/controle-de-la-myopie-par-la-lumiere-rouge-ou-violet